Elle était jugée pour le harcèlement d’Evaëlle, une collégienne de 11 ans qui s’est suicidée dans sa chambre à Herblay (Val-d’Oise), le 21 juin 2019, à la fin de son année de 6e. Ancienne professeure de français, Pascale B. a été relaxée par le tribunal correctionnel de Pontoise (Val-d’Oise), jeudi 10 avril. Lors de son procès, qui s’est tenu les 10 et 11 mars, l’ex-enseignante d’Evaëlle avait soutenu qu’elle ne l’avait “pas humiliée”.

“Les faits reprochés ne sont pas établis”, a déclaré jeudi la présidente du tribunal, qui a aussi estimé que “l’élément intentionnel de l’infraction” n’était pas “caractérisé” et que Pascale B. n’avait pas “volontairement recherché une dégradation des conditions de vie d’Evaëlle”. L’ancienne professeure, âgée de 62 ans, n’était pas présente à l’audience. Son avocate, Marie Roumiantseva, avait plaidé la relaxe. Dans un message envoyé à franceinfo après l’audience, l’avocate de Pascale B. fait savoir que sa cliente est “soulagée” que “la vérité éclate enfin”.
Cueillis par la décision du tribunal, les parents d’Evaëlle sont restés prostrés pendant de longues minutes sur le banc des parties civiles, dans la salle d’audience, dans un silence ponctué de quelques sanglots. Face à eux, leur avocate s’est exclamée : “C’est une claque !” “Nous allons faire appel”, a-t-elle assuré peu après devant les médias. En droit français, les parties civiles ne peuvent contester que l’indemnisation et n’ont pas la possibilité d’interjeter appel de la décision pénale. Seul le parquet, qui avait requis 18 mois de prison avec sursis à l’encontre de l’ex-enseignante, considérant qu’elle avait “jeté en pâture” la collégienne, peut faire appel de la relaxe, dans un délai de dix jours.
Des témoignages “discordants”, “vagues et imprécis”
L’ancienne enseignante était renvoyée devant la justice pour des “propos ou des comportements répétés” à l’encontre d’Evaëlle, notamment “des humiliations régulières devant la classe”, et “l’interdiction d’utiliser un classeur pourtant prescrit par un médecin spécialiste”. Sur ce deuxième point, le tribunal estime que “la position adoptée” par Pascale B., “qui a pu être qualifiée de rigide et intransigeante, n’est pas isolée et apparaît dictée par des considérations pédagogiques”.
Il était également reproché à la professeure de français d’avoir isolé son élève “au fond de la classe”, “de façon habituelle”, ce que Pascale B. a contesté au cours de l’enquête et à l’audience. Ainsi, pour le tribunal, “il est difficile de conclure que ces circonstances” sont “constitutives de harcèlement”. De même pour les heures de vie de classe, qui portaient “sur le harcèlement scolaire” d’Evaëlle et au cours desquelles l’enseignante est accusée de l’avoir “stigmatisée” : elles ne sont pas “nécessairement” constitutives “d’une contrainte”. “Une partie des faits reprochés à Pascale B. correspond à des comportements adaptés et légitimes s’agissant de l’autorité dont doit faire preuve un enseignant dans sa classe”, a ainsi jugé le tribunal correctionnel.
Il remet aussi en question la crédibilité des témoignages des camarades de classe d’Evaëlle, qui comportent “un caractère vague et imprécis”. Quant aux témoignages des membres de l’Education nationale et des parents d’élèves à propos des faits reprochés à Pascale B., ils “sont très partagés”, “discordants”, “peu circonstanciés”, souligne le tribunal, qui considère qu’ils ne sont pas “de nature à fonder une décision de culpabilité”.
“C’est un coup de massue”
Dans sa décision, le tribunal reconnaît l’aspect “dramatique” du suicide d’Evaëlle, qui a causé une “douleur incommensurable” à sa famille et “bouleversé les élèves, les parents d’élèves, les enseignants et les citoyens bien au-delà”. S’il admet comme “légitime que la famille d’Evaëlle recherche les causes de cette tragédie et s’interroge sur les responsabilités”, il considère que Pascale B. a tout autant la légitimité de se défendre.
“Il y a eu de la maltraitance, on ne peut pas le nier. C’est incompréhensible. La justice fait corps avec l’Education nationale”, a déploré la mère d’Evaëlle, les larmes aux yeux, se disant “dans l’incompréhension totale”. “La société est prête à entendre ce genre de choses. Visiblement, la justice ne l’est pas et l’Education nationale encore moins”, a ajouté Marie Dupuis. Elle a aussi exprimé le souhait de “faire évoluer” la législation sur le harcèlement.
“On est sincèrement persuadés qu’on a protégé des enfants ces cinq dernières années”, a encore estimé Marie Dupuis. Car au moment de sa mise en examen, en septembre 2020, Pascale B. a eu l’interdiction d’enseigner à des mineurs. “Aujourd’hui, elle a une nouvelle activité professionnelle, qui n’a strictement rien à voir”, avait précisé à franceinfo son avocate, avant le procès.
“Je suis tétanisé, c’est un coup de massue”, a réagi, au côté de sa femme, Sébastien Dupuis, à la sortie de la salle d’audience. Face au tribunal, le 10 mars, il avait déclaré que Pascale B. avait “initié le harcèlement” de sa fille, avant que “les élèves” ne prennent “le relais”. Deux d’entre eux seront jugés pour harcèlement devant le tribunal pour enfants avant la fin de l’année.
Relaxée des faits de harcèlement sur deux autres élèves
Pascale B. était également jugée pour le harcèlement moral de deux anciens élèves, pour lequel elle a également été relaxée. L’ancienne enseignante était dans une position de “toute puissance” et avait un “contact assez rude avec les élèves”, avait décrit la procureure dans ses réquisitions. Mais le tribunal a considéré que l’un d’eux, Jonathan*, “ne présente pas de symptômes typiques d’un psychotraumatisme en lien avec les faits dénoncés” : il est donc impossible de “caractériser expressément les propos et agissements mis à la charge de Pascale B.”
A l’audience, Jonathan avait déclaré que l’attitude de sa professeure, pendant l’année scolaire 2018-2019, faisait “mal”. “C’était extrêmement rabaissant”, avait-il témoigné, accompagné par sa mère. Cette dernière, en larmes, venue assister avec son fils à l’annonce du jugement, n’a pas réussi à s’exprimer face aux médias.